Les innombrables lecteurs d’Astérix connaissent le célèbre druide à la longue barbe blanche, Panoramix, qui possédait le secret de la potion magique, cette potion qu’il distribuait aux guerriers gaulois lorsqu’ils devaient affronter les légions romaines, cette potion magique qui leur permettait de remporter la victoire. Et nous, dignes descendants d’Astérix, nous voici engagés dans une bataille planétaire, à la fois politique, économique, culturelle, une rude bataille sur tous les fronts dans un monde sans pitié pour les faibles. Il nous faut d’abord lutter pour vivre, pour nous procurer les matières premières et l’énergie dont nous avons besoin. Il nous faut lutter pour inventer et fabriquer les produits aptes à se vendre à l’étranger. Mais aussi imaginer, construire les éléments d’une forme nouvelle de vie, individuelle et communautaire, dans laquelle nos personnalités pourront s’épanouir, notre appétit de bonheur se satisfaire, dans laquelle tout ne sera pas soumis au diktat de l’argent, à la redoutable puissance du mensonge. Il nous faut édifier une société où l’homme respecterait l’homme, d’où le fanatisme, les injustices, les violences aveugles seraient exclus, une société fraternelle, non seulement entre nous mais avec le reste du monde, avec les autres formes de civilisation, dans le respect des pensées, des conceptions philosophiques et religieuses. Mais nous ne sommes pas irréalistes et savons que le monde actuel est dur, soumis à d’alarmantes pulsions. Nous devons être capables de nous défendre contre les agressions susceptibles à tout moment de se déclencher. Nous ne pouvons pas nous contenter d’être gentil, insouciants et faibles. Nous avons bien besoin de potion magique pour gagner les combats qui nous attendent.
Voici ma recette.
La potion magique, intégralement remboursée par la Sécurité sociale, contiendra, d’abord, dix gouttes – on doublera la dose pour les hommes politiques – d’une substance très rare, l’oculus apertus (les noms originaux des produits sont toujours en latin, c’est une tradition qui leur confère un mystérieux pouvoir). L’effet de ces gouttes est d’ouvrir les yeux du patient. C’est évidemment essentiel, car des yeux bien ouverts permettent d’observer avec sagacité la réalité de ce qui nous entoure. Nous pourrons alors larguer ces lunettes de myopes que la plupart de nos concitoyens portent en permanence.
Le second composant sera le volontarium : vingt gouttes pour le français moyen, trente pour l’intellectuel, cinquante pour le politicien. C’est une substance également indispensable car rien ne sert d’ouvrir les yeux si l’on n’a pas la volonté de regarder en face, sans complaisance, les évènements.
Avec ces deux ingrédients, le patient sera déjà en bien meilleur état : il n’est jamais bon de stagner dans le brouillard. Au contraire, une claire vision des choses procure un équilibre et une motivation favorables.
Une troisième substance est alors nécessaire : le stimulum spiritus. L’effet de ce produit est d’exciter les cellules de l’imagination, la curiosité intellectuelle. Il permet d’éliminer la tendance à la routine et à la paresse de l’esprit. Quelques gouttes seulement pour les employés de mairie et de préfecture, une bonne vingtaine pour les éducateurs, quarante au moins pour les hommes de science et de technique et les économistes distingués, cinquante pour les dirigeants syndicalistes.
Ici, le vieux druide Panoramix doit réfléchir avant d’ajouter de nouveaux éléments car il connaît bien les Gaulois. Il sait que le mélange d’oculus apertus, de volontarium et de stimulum spiritus produira vite d’excellents effets car le terrain culturel, intellectuel et psychologique de ses congénères est très favorable à l’observation, au réveil, à la curiosité, aux idées. Il les sait intelligents et velléitaires, mais cela ne suffit pas. Leur amour de la discussion et leur esprit procédurier risquent d’empêcher toute action tenace et continue.
Après mûre réflexion, il lui apparaît judicieux d’élaborer plusieurs formules selon les catégories de patients.
Il faudra d’abord une forte dose de contrabstracto-technocratine pour les énarques, juristes, polytechniciens, directeurs de cabinets ministériels ; un peu moins pour les avocats et les parlementaires-contre-indiqué pour les agriculteurs, travailleurs manuels, artisans, commerçants. C’est un extrait de plantes ayant la particularité remarquable d’avoir les pieds sur terre. La dose sera de quelques gouttes à soixante-dix gouttes maximum pour les premiers nommés (à bien définir selon les cas particuliers), cela pour combattre certaines tendances naturelles et aussi les troubles légers qui pourraient accompagner, chez quelques sujets, l’absorption du stimulum spiritus.
La formule à l’usage des hommes politiques contiendra quelques gouttes de jaspino calmine à absorber spécialement au cours des campagnes électorales. Ce sédatif combat les prurits oratoires, au grand bénéfice des citoyens.
Pour l’ensemble de la population, deux ingrédients supplémentaires s’imposent. En premier lieu, le convivalium sympaticum. Ce produit possède la propriété d’affaiblir les accès d’individualisme farouche, parfois hargneux et agressif, caractéristiques du tempérament gaulois – cet égoïsme qui se retrouve, d’ailleurs, partout dans le monde, surtout chez les nantis, sous forme individuelle, familiale (la défense de son confort), socio-professionnelle ou nationale, et qui aboutit à des inégalités de moins en moins tolérables. Il favorise à l’inverse les élans de cordialité généreuse. Il agit un peu comme le ferait un aimant attirant et réchauffant à la fois. Le pape Jean Paul II en avait certainement absorbé une forte dose lorsque, en France, il a rencontré nos chefs politiques. On a assisté en effet à un spectacle révolutionnaire : les dirigeants des quatre grands partis, Lecanuet, Chirac, Mitterrand, Marchais, côte à côte et souriants, et tendant une main cordiale à jean-Paul II : même Marchais en redemandait ! Du jamais vu.
Cette composante de la potion magique est essentielle. Elle donne le réflexe de s’associer lorsqu’on se trouve en danger. Son action est beaucoup plus bénéfique et profonde que celle des nombreux euphorisants et des drogues plus ou moins douces connues depuis longtemps. L’effet du convivialum sympaticum combat celui de l’ergosteraprol, cette vitamine que l’on extrait des ergots (comme son nom l’indique) des coqs gaulois et qui, précisément, pousse le patient à monter sur les siens.
En second lieu, un ingrédient indispensable à l’équilibre de la potion est l’opiniatrine. Il agit un peu comme les cuirasses des guerriers d’Astérix. Ceux qui en manquent sont, malgré leur bonne volonté, leur lucidité, leur cordialité, leur générosité, incapables d’avancer selon la direction fixée, avec ténacité ; le moindre obstacle obstacle les arrêtera ou les fera changer d’orientation. Cette substance est particulièrement recommandée aux intelligents mais fluctuants politiciens (cinquante gouttes) et surtout aux jeunes enfants des classes fortunées qui en ont un sacré besoin pour ne pas se dégrader sous forme de lavettes. L’opiniatrine est peu abondante chez nous. Il faudra exiger de nos pouvoirs publics un soutien massif au développement de sa production.
Nous arrivons au terme de cette élaboration. Il est évident que l’on ne devra pas oublier quelques gouttes de la potion originelle d’Astérix, celle qui donne une force exceptionnelle et surtout le désir de vaincre. Elle ne rend pas invulnérable mais constitue un stimulant d’une redoutable efficacité.
Et ne négligeons pas non plus l’humorus passeriosus que nous sécrétons déjà, mais insuffisamment, depuis bien avant Astérix.
À nous d’agir, maintenant que nous connaissons le remède. Nous ne vaincrons pas parce que nous sommes les plus forts, selon le slogan célèbre qui a précédé notre catastrophique écrasement de 1940. Non. Nous sommes confrontés dans l’immédiat à des situations inquiétantes et dangereuses sur tous les plans à la fois : économique, énergétique, social, géopolitique, militaire. Nous pouvons vaincre et nous devons mettre dans la lutte toute notre volonté, notre opiniâtreté, notre générosité, notre attention vigilante, notre amour de la liberté et notre désir de construire un monde meilleur.
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